‘Let me prophesy’: Apocalypse et inspiration prophétique dans Richard II de Shakespeare

Yan Brailowsky (Université Paris X Nanterre), in Dominique Daniel & Michel Naumann (eds.), L’autre : journée d’étude sur les auteurs et sujets des concours 2006, Tours: PUFR (2006): 81-100. PDF version: download.

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Anecdote préliminaire

Dans son article ‘Fiction and Fiction’ consacré à Thucydide et la naissance de l’historiographie moderne, Joel Fineman montre comment l’anecdote, un élément apparemment gratuit, non-historique, non-narratif, est en vérité un élément constitutif de la “grande” Histoire; l’anecdote est à la fois en dehors de l’Histoire, tout en étant la seule chose qui relie l’Histoire au réel : “The anecdote is the literary form that uniquely lets history happenby virtue of the way it introduces an opening into the teleological, and therefore timeless, narration of beginning, middle, and end.” 1Joel FINEMAN, “The History of the Anecdote: Fiction and Fiction”, in The New Historicism,ed. Harold Veeser, Londres, Routledge, 1989, p. 61.

Doit-on considérér comme anecdotique le fait qu’exactement deux siècles se soient écoulés entre l’époque historique mise en scène dans Richard II et la date de composition de cette pièce 2Les faits historiques remontent aux années 1397-1400 ; la pièce daterait de 1595. Sur la date de composition de la pièce, voir Charles R. FORKER, King Richard II, Londres, Arden Shakespeare, 2002, p. 111-120. Toutes les références à la pièce, ci-après désignée R2, sont tirées de cette édition., et que dans chaque cas il s’agissait d’une fin de siècle ? Ou cette remarque permet-elle, au contraire, de mieux comprendre les avertissements apocalyptiques contenus dans cette œuvre ?

Que la fin de l’histoire dont il est question dans ces prophéties coïncide avec la fin d’un siècle du calendrier chrétien, que cette coïncidence n’en soit pas une, que cette fin soit le symbole d’une autre fin, plus fondamentale qu’un simple changement calendaire, voilà une croyance relativement récente dont il sera bon de rappeler rapidement l’origine. Si je commence cette étude en notant la correspondance qu’établit Shakespeare, au moment de choisir d’écrire Richard II, entre la fin du quatorzième siècle et la fin du seizième siècle, il faudra se demander dans quelle mesure les contemporains de l’époque représentée, d’une part, et de l’époque de la représentation, de l’autre, étaient conscients de vivre une « fin de siècle » 3Remarquons dès à présent que le concept de « fin de siècle » remonte au dix-neuvième siècle: “Late in 1885, fin de siècle made its popular debut as a single phrase, a phrase at first descriptive of personal manner and carriage, then of the manners and carriage of the epoch itself. ‘To be fin de siècle,’ explained one French article in 1886, ‘is to be no longer responsible; it is to resign oneself in a nearly fatal fashion to the influence of the times and environs… It is to languish with one’s century, to decay along with it.’” Hillel SCHWARTZ, Century’s End: A Cultural history of the fin de siècle, New York, Doubleday, 1990, p. 159..

Dans les pages qui suivent, je reviendrai donc sur les nombreuses prophéties contenues dans Richard II, en les replaçant dans l’histoire des mouvements apocalyptiques et millénaristes de la fin des quatorzième et seizième siècles. Je proposerai la thèse suivante : avec Richard II, Shakespeare nous invite à explorer le sens de l’histoire et de la fin des temps. L’anecdote préliminaire est donc, en réalité, programmatique.

Historiographie et Pronostic

Avant d’introduire la question de l’Apocalypse et du millénarisme, il est bon de revenir sur deux aspects soulignés par Fineman dans son article. Tout d’abord, d’après Fineman, Thucydide marque la naissance d’une conception moderne de l’Histoire : ses récits se démarquent des fables habituelles pour proposer une narration des faits tels qu’ils ont se produire. Cette approche permet d’éclairer la suite des événements, étant entendu que l’Histoire se répète, et que la narration d’une guerre particulière correspond en bien des points à ce qui adviendra, un jour, ailleurs, en un autre temps.

L’absence de merveilleux dans mes récits les rendra peut-être moins agréables à entendre. II me suffira que ceux qui veulent voir clair dans les faits passés et, par conséquent, aussi dans les faits analogues que l’avenir selon la loi des choses humaines ne peut manquer de ramener, jugent utile mon histoire. C’est une œuvre d’un profit solide et durable plutôt qu’un morceau d’apparat composé pour une satisfaction d’un instant. 4THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduction Jean Voilquin, Garnier Frères, Paris, s.d., 1.22.4, cité en anglais par J. FINEMAN, ibid., p. 52.

Ensuite, il faut mettre en regard cette conception de l’Histoire avec les remarques subséquentes de Fineman sur la médecine hippocratique. Celle-ci, en effet, consiste d’abord à apprendre à observer méticuleusement les symptômes d’une maladie pour pouvoir recréer l’histoire de la maladie, une narration qui permettra au médecin d’évaluer les chances de survie du malade avec exactitude. Plus les diagnostics du médecin sont justes, plus sa réputation est grande. 5J. FINEMAN, ibid., p. 56. Citons, pour mémoire, la traduction française du texte hippocratique: « Il est impossible de rendre la santé à tous les malades, et cela vaudrait certainement mieux que de prévoir l’avenir ; mais comme les hommes périssent, les uns terrassés tout à coup par la violence du mal, avant d’avoir appelé le médecin, les autres presque aussitôt qu’ils l’ont fait venir, ceux-ci un jour après, ceux-là après un peu plus de temps, mais toujours avant qu’il lui ait été possible de combattre avec les moyens de l’art chaque maladie, il faut qu’il sache reconnaître la nature de ces affections et jusqu’à quel point elles dépassent les forces de l’organisme, et s’il n’y a point en elles quelque chose de divin, car ceci éclaire le pronostic. Un tel médecin sera justement admiré et excellera dans son art ; mieux que tout autre il saura préserver de la mort les malades susceptibles de guérison, en se précautionnant plus longtemps à l’avance contre chaque événement ; prévoyant et pronostiquant ceux qui doivent guérir et ceux qui doivent mourir, il sera exempt de reproche. » HIPPOCRATE, Le Pronostic, trad. Ch. V. Daremberg, Paris, Charpentier, Fortin, Masson, 1854-1856, §1.

A partir des deux remarques précédentes, historiographique, pour l’une, médicale, pour l’autre, on peut proposer l’hypothèse suivante : le prophète, tel qu’il peut apparaître dans une pièce comme Richard II, est à mi-chemin entre l’historien et le médecin. Comme la médecine hippocratique, le prophète pratique un « art », et non une science. Comme l’historien, le prophète propose une narration de l’Histoire qui peux servir de leçon pour l’avenir. Mais la narration prophétique est supérieure à toute narration historique, médicale ou nosologique car, comme le dit Francis Bacon dans The Advancement of Learning:

Prophecy, it is but Divine History; which hath that prerogative over human, as the narration may be before the fact, as well as after.

Bacon ajoute:

divine prophecies; being of the nature of their Author, with whom a thousand years are but as one day; and therefore are not fulfilled punctually at once, but have springing and germinant accomplishment throughout many ages; though the height or fulness of them may refer to some one age. 6Francis BACON, The Advancement of Learning, ed. G. W. Kitchin, Londres, New York, J.M. Dent & Sons, E.P. Dutton & Co., (1605) 1934, p. 69, p. 80.

Les prophéties sont donc hors du temps historique habituel : elles transcendent la linéarité habituelle de l’histoire par des retours en arrière ou des répétitions dans le futur. La deuxième citation répond au mot de Pierre : « devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. » (2 P 3.8.) 7J’utilise la traduction de l’école Biblique de Jérusalem, Paris, Desclée de Brouwer, 1975.

Millénarisme(s)

Si je m’attarde ainsi sur la question de l’historiographie et de la temporalité propre à toute narration prophétique, c’est qu’en abordant la question de l’Apocalypse, on se heurte à plusieurs problèmes de définition dont nous pouvons essayer d’esquisser les contours. Les problèmes de définition sont particulièrement nombreux autour de la notion centrale du « millénium » et du millénarisme — une notion évoquée par le mot de Pierre (mille ans).

1-Qu’est-ce que le millénarisme ? Ce que l’on appelle également chiliasme est la croyance en un millénium, une période de mille ans de paix terrestre évoquée dans le chapitre 20 de l’Apocalypse de Jean, période pendant lesquelles Satan serait « enchaîné » dans « l’Abîme » et le Christ règnerait sur le monde avec les fidèles (Ap. 20.2-3).

1.1-Comment reconnaître le début du millénium ? Les commentateurs bibliques suivent les indications de Jean, selon lequel le millénium commencerait avec la « première résurrection » des Justes (Ap. 20.4-6), qui « reprirent vie et régnèrent avec le Christ mille années. Les autres morts ne purent reprendre vie avant l’achèvement des mille années. » (Ap. 20.4-5).

1.2-Comment reconnaître la fin du millénium ? Avec la venue de l’Antéchrist, un imposteur qui tente d’imposer une religion contraire à celle du Christ, et la destruction du monde avant le Jugement Dernier (Ap. 20.7-12). Notons que la définition ambiguë de l’Antéchrist rend difficile toute identification définitive. De nombreux « prophètes » un temps honorés furent, ensuite, traités d’Antéchrist. Le cas le plus célèbre à la Renaissance est sans doute celui de Savonarole qui, après avoir été sanctifié de son vivant, fut brûlé vif. Il existe également une importante tradition qui identifie l’Antéchrist avec le Pape 8“Those who regularly and consistently equated the Pope or the papacy with Antichrist were the heretics — Joachim of Flora (c. 1135-1202), the Cathars, who thought Pope Sylvester I was Antichrist, the Albigensians, the Waldensians, the Spiritual Franciscans, the Fraticelli, Wyclif and the Lollards, Hus and the Hussites. […] By the time of Elizabeth I, the doctrine that the Pope was Antichrist had acquired a theoretical respectability which seemed to rescue it from the subservive dangers of medieval heresy and tie it safely to monarchy. This was mainly the work of Martin Bucer and John Foxe.” Christopher HILL, Antichrist in Seventeenth-Century England, Londres, Verso, [1971] 1990, p. 7-8, 13. Voir p. 1-77 pour un résumé très complet de la situation en Angleterre avant 1640..

1.1.1.-Le millénium correspond-il à mille ans exactement ? Depuis Augustin, les commentateurs médiévaux de la Bible préfèrent considérer le millénium comme métaphore 9AUGUSTIN, La cité de Dieu, 20.7-10.. Augustin s’appuie sur le verset de Pierre déjà cité (2 P 3.8) pour proposer une lecture moins littérale des « mille ans » dont parle Jean, et condamne explicitement les chiliastes ou tous ceux qui lisent les versets de l’Apocalypse de manière « charnelle » 10Ibid., 20.7.. Pour l’orthodoxie religieuse, il est dangereux de prétendre calculer le début ou la fin du millénium. Ainsi, il est dit: « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » A quoi Jésus répond : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. » (Ac. 1.6-7)

Il est donc difficile, voire hérétique, de déterminer la date du début de la fin du monde. Et pourtant, chaque époque a cru, ou croit, être la dernière. Qu’en était-il des contemporains de Richard II et de Shakespeare ? Etaient-ils conscients de traverser une période de troubles et de décadence annonçant la fin des temps ?

Deux fins de siècle

Le Jubilé de Boniface IX en 1390 marqua le début d’une décennie de destruction, d’espoirs de paix déçus et de persécutions religieuses en Europe. En 1400, Richard II est assassiné en Angleterre. En France, Charles VI sombre dans la folie, et l’empereur romain germanique, Venceslas Ier, est déchu. En 1393, le poète John Gower écrivit:

What schal befalle hierafterward
God wot, for now upon this tyde
men se the world on every syde
In sondry wyse so dyversed
That it welnyh stant all reversed,
As forto speke of tyme ago. 11John GOWER, Confessio Amantis, Prologue, vers 26-31, cité par H. SCHWARTZ, op. cit., p. 68. Pour plus de détails sur les événements de l’époque, voir ibid., p. 63-74. Gower développe ici la topique du mundus inversus.

Tout comme la fin du quatorzième siècle a pu être marqué par des peurs apocalyptiques et le sentiment de vivre une époque décadente 12Le terme « décadent » apparaît à cette époque, mais ne prendra le sens moral qu’on lui connaît aujourd’hui que bien plus tard, au dix-neuvième siècle. Dans R2, on peut entendre encore, dans l’exclamation de Northumberland: “Most degenerate King!” (II.i.262), l’écho du sens originel de décadent, à savoir « dégradé », « en état de ruine »., la fin du seizième siècle est marquée, en Angleterre, par des phénomènes climatiques inquiétants 13Hillel Schwartz revient sur le « Fiery Trigon » de 1583 et évoque les huit comètes aperçues dans le ciel anglais entre 1577 et 1596. H. SCHWARTZ, op. cit., p. 108. et des incertitudes concernant la succession au royaume 14Voir l’introduction de C. FORKER, op. cit., p. 5-16, en particulier p. 8-9.. D’après Keith Thomas : “In the reign of Elizabeth many learned men agreed that the world was in its dotage and that the end could not be far off. There was widespread speculation about its timing: in 1589 the courtier, Anthony Marten, testified to ‘the number of prophets that God doth daily send to admonish all people of the latter day, and to give them warning to be in a readiness’. […] According to most commentators, [the] millenium had already begun.” 15Keith THOMAS, Religion and the Decline of Magic, New York, Scribner’s, 1971, p. 141. Les contemporains predisaient pour 1588 un annus horribilis. L’année fut un annus mirabilis marquée par la défaite de l’Invincible Armada, la fondation de la première colonie anglaise en Amérique par Sir Walter Raleigh, et la fin des derniers grands complots catholiques contre Elisabeth. Les signes étaient donc contradictoires, et l’inquiétude perdurait. Phénomènes météorologiques, peur de la fin des temps: autant de signes fidèlement rapportés dans Richard II par le capitaine gallois qui revient, ce faisant, sur le lien entre macrocosme et microcosme:

Tis thought the King is dead. We will not stay.
The bay trees in our country are all withered,
And meteors fright the fixed stars of heaven;
The pale-faced moon looks bloody on the earth,
And lean-looked prophets whisper fearful change; […]
These signs forerun the death or fall of kings. (II.iv.7-17)

Comme le rappelle Charles R. Forker, certains de ces signes ne sont pas un pur artifice dramatique ajouté par Shakespeare. Dans ses Chronicles(1587), Raphael Holinshed rapportait qu’on avait effectivement vu des choses étranges en l’an 1399 : “Old baie trees withered, and afterwards, contrarie to all mens thinking, grew greene again, a strange sight, and supposed to import some vnknowne euent.” (3.496) 16Cité par C. FORKER, op. cit., p. 307.

A deux siècles de distance, la peur frappe donc l’Angleterre. Au-delà du sentiment de peur, dont il est difficile de déterminer les contours 17« Dans l’Europe du début des Temps modernes, la peur, camouflée ou manifestée, est présente partout. » Jean DELUMEAU, La Peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, p. 31., il nous faut reprendre la question doctrinale posée par le chapitre 20 de l’Apocalypse. Dans quelle mesure peut-on parler de millénarisme dans Richard II ? La tendance apocalyptique décelable à deux fins de siècle distincts se traduit-elle, pour autant, en une croyance en un millénium ?

Les sources ne nous permettent pas de soutenir l’hypothèse d’un Richard II millénariste, ni même d’un roi convaincu de l’imminence de la fin des temps. Même au plus bas, le personnage de Shakespeare maintient sa foi en la continuation de l’Histoire: s’il revient souvent sur le thème du monde discordant, il n’est nulle part question de fin des temps, sinon d’une histoire qui se termine mal. Qui plus est, ce que l’on sait de lui ne correspond en rien à la tradition millénariste la plus répandue au moyen âge : le joachimisme, du nom de l’abbé calabrais Joachim de Flore (1135-1201) dont on connaissait le Commentaire sur l’Apocalypse et la théorie de la Concordance de l’Ancien et du Nouveau Testament 18Une anecdote célèbre rapporte que Joachim rencontra Richard Ier « Cœur de Lion » à Messine ca. 1190. Le roi, partant pour la Troisième Croisade, l’aurait consulté sur l’Antéchrist. Voir Marjorie REEVES, The Influence of Prophecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism, Oxford, 1969.. Le joachimisme rencontra un écho considérable parmi les franciscains. Loin d’embrasser l’idéal franciscain d’une vie de complet dénuement, à l’image du Christ, en attente du Jugement Dernier, Richard II était un roi à la fois prodigue et accapareur : “a man destitute of sobrietie and wisedome, […] that so abused his authoritie”, d’après Holinshed 19Raphael HOLINSHED, Richard the second, the second sonne to Edward prince of Wales in The Chronicles of England, Scotland and Ireland, Londres, Printed by Henry Denham, at the expenses of Iohn Harison, George Bishop, Rafe Newberie, Henrie Denham, and Thomas Woodcocke, [1587], in Horace Howard Furness Memorial (Shakespeare) Library. Folio DA130. H7 1587, p. 493.. Ces traits sont amplement développés dans Richard II.

Si du côté du personnage éponyme il n’est pas possible de parler de millénarisme, qu’en est-il des prophètes auto-proclamés que sont Jean de Gand (II.i) et l’évêque de Carlisle (IV.i) ?

Les prophètes : Jean de Gand

Methinks I am a prophet new inspired,
And thus, expiring do foretell of him.
His rash fierce blaze of riot cannot last,
For violent fires soon burn out themselves;
Small showers last long but sudden storms are short;
He tires betimes that spurs too fast betimes;
With eager feeding food doth choke the feeder.
Light vanity, insatiate cormorant,
Consuming means, soon preys upon itself. (II.i.31-39)

Dans le premier cas, la prophétie de Gand est une suite de métaphores climatiques (violent fires, small showers, sudden storms) ou animalières (insatiable cormorant). Il s’agit là d’images prophétiques popularisées en Angleterre depuis le douzième siècle avec la « prophétie de Merlin » de Geoffrey de Monmouth 20Geoffrey of MONMOUTH, Historia Regum Brittaniae, trad. A. Thompson, éd. J.A. Giles, Londres, J. Bohm, ca. 1138 [1842], Livre VII. Basées sur l’interprétation de figures animales, les prophéties merliniennes parlent de l’avenir de l’Angleterre en termes allégoriques souvent obscurs (the red and white dragon, the boar of Cornwall, a sea-wolf, a lion of justice, an eagle, the goat of the Venereal castle, serpents, the ass of wickedness, wolves, the fox of Kaerdubalem, the adder of Lincoln). Ce symbolisme animalier a été maintes fois réinterprété aux quinzième et seizième siècles à la lumière des préoccupations politiques du moment. Son influence à travers les siècles est attestée par l’élisabéthain Henry Howard: “Merlin’s prophecies were chained to the desks of many libraries in England with great reverence and estimation.” Henry HOWARD [Earl of Northampton], A defensative against the poyson of supposed prophecies, Londres, Printed by Iohn Charlewood 1583, and reprinted by William Iaggard and to be sold by Mathew Lownes [1620], rapporté par K. THOMAS, op. cit, p. 394.. Comme le note C. R. Forker, ces vers sont un recueil d’apophtegmes, une accumulatio destinée à faire de Jean de Gand un musée vivant de la sagesse immémoriale d’un peuple, un lien vivant entre le passé et le présent 21C. FORKER, op. cit., p. 245n.. En citant des dictons qui appartiennent à la langue et non à un individu historiquement déterminé, la parole de Gand devient anhistorique et intemporelle; il est, non plus l’aristocrate héritier du Duché de Lancastre de la fin du quatorzième siècle, mais une incarnation de l’Angleterre, comme si Gand était l’effigie mystique de l’Angleterre, à la fois figée dans son sommeil de pierre et toujours-présente. La phrase : “For sleeping England long time have I watched” (II.i.77) pourrait en effet s’entendre de deux manières. « Moi, Gand, ai longtemps veillé sur l’Angleterre tranquille »; mais aussi, « Moi, Gand, dans mon sommeil, j’ai longtemps observé l’Angleterre ». L’absence de ponctuation permet ces deux lectures. Ce lien mystique entre l’homme et le pays est à l’image du lien entre macrocosme (les astres) et microcosme (le sort du roi) illustré par la prophétie du capitaine gallois.

Les prophètes : l’évêque de Carlisle

And if you crown him, let me prophesy
The blood of English shall manure the ground,
And future ages groan for this foul act.
Peace shall go sleep with Turks and infidels […]
and this land be called
The field of Golgotha and dead men’s skulls.
O, if you raise this house against this house,
It will the woefullest division prove
That ever fell upon this cursed earth.
Prevent it, resist it, let it not be so,
Lest child, child’s children, cry against you, ‘Woe !’ (IV.i.137-150)

La prophétie de l’évêque de Carlisle, elle, exploite des motifs chrétiens (Turks and infidels, field of Golgotha, cursed earth, IV.i.140, 145, 148) sans, toutefois, évoquer la fin du monde. Par ailleurs, son caractère hypothétique (“And if you crown him, let me prophesy…”, 137) rend presque sa prophétie inefficace. Plutôt que de prédire l’avenir, l’évêque tente de le prévenir (Prevent it)et sa parole n’est pas efficace 22On peut penser au sens théologique du mot (comme dans « grâce efficace », ainsi que l’entendent les Jansénistes) ou au sens linguistique (“performative utterance”, définie par J. L. AUSTIN, How to Do Things with Words, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1962). En termes théologico-linguistiques, on pourrait arguer que le marqueur linguistique du libre-arbitre est la conjonction if., mais perspicace.

Si, dans les deux cas, ces prophètes auto-proclamés annoncent une catastrophe nationale, nous sommes loin de l’expression d’une croyance en un millénium, qu’il soit à venir ou déjà entamé. Il est donc préférable de se garder d’appeler « millénariste » ce qui n’est qu’une tendance apocalyptique ou une réflexion sur la fin des temps ou l’eschatologie. Pour reprendre les conclusions de Marjorie Reeves : “How should we categorize this type of apocalyptic dream which hovers over the end of history? I do not think we should label it millenarianism. The terms millennium and millenarian are far too loosely used. They should be tied to the particular text of Apc. 20, 2 from which they derive. This prophecies a supranatural event, a divine intervention into the time-process, whereas here we are dealing with apocalyptic visions of the climactic period of human history.” 23Marjorie REEVES, « English Apocalyptic Thinkers (c.1540-1620) », Storia e figure dell’Apocalisse fra ‘500 e ‘600. Atti del 4° Congresso internazionale di studi gioachimiti, ed. R. Rusconi, Viella, 1996, p. 270. En revanche, on remarque au dix-septième siècle une explosion du nombre de textes millénaristes ou apocalyptiques. Voir C. HILL, op. cit.

Lollardisme : du XIVème au XVIème siècle

D’après M. Reeves, l’époque élisabéthaine a connu un regain d’intérêt pour l’Apocalypse, après une première période d’engouement au quatorzième siècle 24“Years ago Morton Bloomfield gathered together much of the manuscript evidence to show the widespread distribution of apocalyptic material in fourteenth-century England”. M. REEVES, op. cit., p. 260., quand les thèmes apocalyptiques furent disséminés grâce aux Lollards, qui militaient pour un retour à l’église primitive. Les lollards critiquaient la corruption de la hiérarchie ecclésiastique, comme l’avaient fait avant eux les Spirituels du Continent au treizième siècle, d’inspiration nettement joachimite. Ainsi, Reeves mentionne “A Lollard tract, The Last Age of the Church, once attributed to Wycliffe, [which] calculates, on the basis of the supposedly Joachimist work, De semine Scripturarum,that the last tribulations of the Church have begun and that the world will end in 1400.” 25Ibid., p. 260.

Sous les persécutions de Henry VIII et de Mary, de nombreux réformistes intéressés par les interprétations apocalyptiques de l’histoire durent s’exiler sur le Continent, avant de revenir en Angleterre sous le règne d’Elisabeth, rapportant avec eux des textes prophétiques, apocalyptiques ou millénaristes, condamnés par l’église catholique. Ainsi, le polémiste John Bale 26John Bale travailla longtemps avec John Foxe, l’auteur de Actes and Monuments, publié en 1563. L’œuvre, plus connue sous le nom de Foxe’s Book of Martyrs, eut une influence considérable en Angleterre. Bale et Foxe s’exilèrent tous deux pendant le règne de Mary et retournèrent en Angleterre imbibés de lectures apocalyptiques provenant du Continent. Voir M. REEVES, op. cit., p. 263-265. (1495-1563) s’exila un temps aux Pays-Bas, à Francfort puis à Bâle, avant de revenir en Angleterre avec, entre autres, des œuvres de Pierre Jean de Olivi (ca. 1248-1298) ou d’Arnaud de Villeneuve (ca. 1235-1313), deux autres importants « prophètes » au moyen âge, après Joachim. Notons dès à présent que Bale composa lui-même une collection martyrologique intitulée Brefe Chronicle concerynge the Examinacyon and death of … Syr Johan Oldecastell 27Ibid., p. 263..

Sans trop entrer dans les détails de l’historiographie sur le lollardisme, rappelons cependant que Wycliffe et les lollards furent, un temps, sous la protection de Jean de Gand et des nobles anti-cléricaux, avant de perdre cet appui lorsque ces derniers se rendirent compte que les principes animant ce mouvement réformiste ne visaient pas que l’Eglise, sinon l’ordre social anglais tout entier 28L’appui de Jean de Gand et d’autres nobles du royaume était vraisemblablement motivé par la possibilité de s’emparer des sources de revenus monastiques.. Plus tard, ce fut le fils de Gand, Henry IV, qui contribua à persécuter les lollards en promulgant De heretico comburendo en 1401, qui interdisait toute traduction de la Bible (une des principales revendications des lollards). Puis, sous le règne de Henry V, ce sont des nobles comme Sir John Oldcastle, ancien compagnon du roi, qui furent persécutés pour lollardisme. Oldcastle fut condamné pour hérésie en 1413. Après avoir réussi à échapper à la justice pendant quelques années, il fut finalement capturé, pendu et brûlé en 1417.

Shakespeare a accordé une large place à Jean de Gand et à Falstaff dans ses Histories — Falstaff étant le nom finalement retenu pour désigner Sir John Oldcastle 29C’est après les premières représentations de 1 Henry IV que Shakespeare dut changer le nom de son personnage, suite aux pressions des descendants de Oldcastle, les Cobham. Le nom finalement retenu est dérivé de celui de Sir John Fastolf, également un lollard, dont l’histoire retint le rôle peu glorieux dans la bataille de Patay en 1429 contre les français. —, tout en adaptant le contexte politico-religieux de ses sources à des impératifs dramatiques ou politiques (notamment en matière de censure 30On retiendra, en effet, l’omission de la scène de la déposition (IV.i.155-318) dans les premiers quartos. Voir C. FORKER, op. cit., p. 506-507. ). Ceci explique sans doute pourquoi, dans Richard II, il n’est pas fait explicitement référence au rôle de tuteur qu’a pu jouer Jean de Gand pendant le règne de Richard II 31Grâce à son mariage avec Blanche de Lancastre puis avec Constance de Castille, Jean de Gand était le prince le plus fortuné du pays, avec une trentaine châteaux en Angleterre et en France. Il était en mesure de rivaliser, de ce point de vue, avec son neveu et roi, Richard II, sans pour autant jamais s’en vanter.. En commençant la pièce par le duel entre Mowbray et Bolingbroke, Shakespeare ne revient pas sur les vingt premières années du règne du roi, pendant lesquelles Jean de Gand a joué un rôle parfois moins louable que ce qui nous est dépeint dans les premiers actes. La pièce s’attarde sur ce que l’on pourrait appeler la « cause efficiente » de la déposition du monarque: la confiscation des biens de l’hériter de Gand, Henry Bolingbroke. On n’évoque pas la révolte paysanne de 1381 causés par une taxe ordonnée par Gand 32Ce que l’on appelle the Peasant’s Revolt, ou Wat Tyler’s Rebellion ou the Great Rising eut aussi un soutien des lollards, comme celui du prêtre John Ball dont les sermons à Blackheath en faveur d’une plus grande égalité sociale attisèrent les rebelles (c’est à lui que l’on attribue le célèbre mot: “When Adam delved and Eve span, Who was then the gentleman?”). Ball fut arrêté puis exécuté. John Gower traita de cette révolte dans son long poème Vox Clamantis. Il voyait dans ce soulèvement une œuvre de l’Antéchrist. ; et on ne nous présente que de façon allusive le conflit de 1387 entre Richard II et les Lords Appellant, c’est-à-dire entre le monarque et, entre autres, son oncle Thomas of Woodstock, Duc de Gloucester, et Henry Bolingbroke. Il n’est pas fait mention de ce premier épisode de dépossession dans Richard II alors qu’il explique les dernières années de règne du roi et son autoritarisme. La seule référence aux Lords Appellant est purement technique. Bolingbroke emploie l’expression pour désigner les nobles qui se querellent au sujet d’Aumerle (IV.i.105).

Tout porte à croire que, pour Shakespeare, ce qui fait le cœur de la tragédie du roi Richard II 33Les premières éditions de la pièce parlent de Tragedy dans le cas de R2 ou de Richard III, mais de History ou de Chronicle dans le cas de 1 Henry IV, 2 Henry IV ou Henry V. est la chute d’un monarque de droit divin — une chute qui annonce un siècle de guerre civile.

De la même façon, mais à l’inverse, ce que l’on devine des croyances religieuses de Falstaff dans 1 Henry IV ou 2 Henry IV ne ressemble en rien à ce que l’on sait par ailleurs de Sir John Oldcastle : loin d’être un martyr dont on honore la mémoire, Falstaff–Oldcastle est un personnage de bouffon.

Dans l’un et l’autre cas, Shakespeare a gommé les liens qui unissaient Jean de Gand et Oldcastle aux lollards, et, de ce fait, on peut se demander s’il existe encore, dans les tétralogies, des références aux préoccupations eschatologiques qui sous-tendaient ce mouvement réformiste. Malgré un traitement partial par Shakespeare du contexte religieux de la fin du quatorzième siècle, le dramaturge exploite en effet des motifs apocalyptiques. S’agit-il de motifs à caractère protestant, ou de motifs plus typiquement catholiques ?

Apocalypse catholique ou protestante?

Les motifs apocalyptiques développés par l’évêque de Carlisle ne nous permettent pas de répondre de manière assurée à la question posée. Les termes qu’il emploie ne peuvent pas être identifiés comme reflétant une doctrine plutôt catholique ou protestante. Ce sont les éléments à la périphérie de cette prophétie apocalyptique qui nous donnent à penser qu’il existe bien, dans Richard II, une eschatologie catholique sous-jacente.

Shakespeare ne pouvait pas proposer de façon trop voyante une vision « papiste » de la fin des temps, une eschatologie trop « politique ». Au vu de la situation de l’Angleterre en 1595, c’est-à-dire après la défaite de la croisade catholique de l’Armada en 1588, il était impossible de s’en prendre à Elisabeth Ire alors érigée en figure providentielle défendant l’Angleterre de l’Antéchrist de Rome 34Plus tard, ce sera Jacques Ier qui, à l’occasion de la découverte de la Conspiration des Poudres en 1605, incarnera la figure providentielle qui aura délivré l’Angleterre des complots catholiques. Voir Gary WILLS, Witches and Jesuits: Shakespeare’s Macbeth. New York, Oxford University Press, 1995..

Si l’imagerie apocalyptique exploitée par l’évêque n’est pas particulièrement révélatrice de la position de Shakespeare vis-à-vis de la Réforme, il semblerait que de ne pas mentionner les troubles causés par le lollardisme dans Richard II viendrait en appui de la thèse d’un Shakespeare crypto-catholique. Pour Shakespeare, il n’est pas question d’honorer la mémoire de ceux qui ont tenté de réformer l’église, qu’ils soient lollards ou protestants. Les conclusions des lollards 35Voir H. S. CRONIN, “The Twelve Conclusions of the Lollards”, English Historical Review, 22 (avril 1907), p. 292-304. concernant la pauvreté ecclésiastique et le pouvoir temporel de l’église (quia nemo potest duobus dominis servire) furent ignorées, puis réfutées au quatorzième siècle par l’orthodoxie catholique et le pouvoir en place. Au seizième siècle, Shakespeare en fait autant, sinon plus : il se moque des lollards, par son traitement bouffon de Sir John Oldcastle–Falstaff, considéré par les protestants comme un des premiers martyrs de la Réforme en Angleterre. Même corrompue, il n’est pas possible de s’attaquer à une hiérarchie ecclésiastique divinement instituée. Comme le dit Gand à la Duchesse de Gloucester:

God’s is the quarrel, for God’s substitute,
His deputy anointed in His sight,
Hath caused his death, the which if wrongfully,
Let heaven revenge, for I may never lift
An angry arm against His minister. (I.ii.37-41)

La position de Gand s’applique à la fois au roi et aux ministres de Dieu, en vertu de la théorie de la monarchie de droit divin. Le roi est le représentant de Dieu sur terre (His deputy anointed); il n’est pas permis de s’en prendre à lui.

La scène de la déposition insiste sur le caractère non-naturel et proprement sacrilège de ce que l’on pourrait appeler la « Réforme » de Henry Bolingbroke. L’acte IV, le moins fidèle aux sources, fait référence à plusieurs reprises au Nouveau Testament pour souligner les parallèles entre cette Réforme et les derniers jours du Christ. Richard se compare au Messie trahi par Judas (IV.i.170-172), et ses interlocuteurs sont des Ponce Pilate (IV.i.239-241). L’évêque de Carlisle, lui, prophétise une guerre fratricide qui transformera l’Angleterre tout entière en un nouveau Golgotha, dans une envolée prophétique notoirement absente des sources 36Dans ce que rapporte Holinshed dans ses Chronicles, l’évêque de Carlisle se contente de récuser la légalité de la procédure de destitution en l’absence du roi, celui-ci n’ayant pas l’occasion de répondre aux chefs d’accusation qui lui sont reprochés. Le passage de Holinshed ([22 October 1399], 3.512) est cité par C. FORKER, op. cit., p. 497-498.. A ces références aux évangiles dans la bouche de deux représentants de Dieu sur terre, l’un politique, l’autre ecclésiastique, il faut ajouter une référence insistante à l’Apocalypse de Jean (Ap. 3.5). Richard dit que le document qu’il est sommé de lire à voix haute est : “Marked with a blot, damned in the book of heaven” (IV.i.236), une référence à l’Apocalypse déjà évoquée dans le premier acte par la première victime de la pièce, Thomas Mowbray (I.iii.202).

Poésie et prophétie

En proposant des prophéties apocalyptiques absentes des sources, Shakespeare se veut-il le porteur d’un message politique ? Les historiens ont pu remarquer la réapparition de prophéties politiques au moment de troubles dynastiques, pendant la guerre des Deux-Roses, à la fin du règne d’Henri VIII, à la fin du règne d’Elisabeth, puis sous le règne de Charles Ier. Pour contrôler tout soulèvement provoqué par des prophéties que l’on retrouvait souvent d’une époque à l’autre, les lois ont été multipliées interdisant formellement tout type de pratique divinatoire: lois de 1541-2, 1549-50, ou encore de 1563 37K. THOMAS, op. cit., p. 397-398.. Si l’on part du principe que Shakespeare était effectivement porteur d’un message politique, ceci nous permet de comprendre pourquoi il avait choisi de commencer sa carrière dramatique par des Histories, alors qu’il avait déjà à sa disposition Ovide, et les historiens greco-romains. En exploitant l’histoire nationale et des légendes prophétiques connues de tous, Shakespeare pouvait contourner la censure et tirer de l’histoire de l’Angleterre bien plus qu’une simple narration : une nouvelle vision de la fin des temps. La manière d’exploiter ses sources historiques permet à Shakespeare de créer, sinon des personnages qui seraient des annonciateurs de l’Apocalypse ou du Millénium, du moins une structure et une série dramatique qui nous propose, par le moyen d’une représentation de l’histoire, un eschaton poétique et prophétique. Sir Philip Sidney, dans An Apologie for Poetrie,revient sur la nature prophétique de l’inspiration poétique :

Among the Romans a Poet was called Vates, which is as much as a Diuiner, Fore-seer, or Prophet, as by his conioyned wordes Vaticinium and Vaticinari, is manifest: so heauenly a title did that excellent people bestow vpon this hart-rauishing knowledge. 38Sir Philip SIDNEY, An Apologie for Poetrie, London, 1595 [1869], ed. Edward Arber, in AMS English Reprints, New York, 1966, vol. 1, p. 23.

A ce stade, on peut proposer la thèse suivante : Shakespeare aurait dépeint, avec Richard II, sinon des personnages joachimites et millénaristes, du moins une vision prophétique de l’histoire de type proto-joachimite. Richard II est l’occasion pour le dramaturge de travailler des réseaux de concordances entre un temps passé et un temps présent ou à venir, à l’instar de la théorie joachimite de la concordance des deux Testaments :

  1. à la prophétie de l’acte II (avant la chute), correspond une prophétie « en miroir » à l’acte IV (après la chute) ;
  2. à la déposition de Richard II, correspond celle d’Edouard II, deux générations plus tôt (une tragédie déjà mise en scène par Marlowe en 1592) ;
  3. au parricide de Gloucester ordonné par Richard avant le premier acte, correspond le parricide 39Au quinzième siècle, le terme de « parricide » s’applique également au meurtre du souverain. de Richard ordonné par Henry IV au dernier ;
  4. au crime d’Abel et Caïn auquel Henry Bolingbroke fait référence dans la première et dernière scène de la pièce, correspond la trahison de Judas évoquée par Richard à plusieurs reprises dans les actes intermédiaires.

Ces concordances entre un temps passé (Ancien Testament) et un temps présent ou à venir (Nouveau Testament) servent à mettre en perspective l’histoire de Richard II dans la série dramatique des tétralogies. Elles servent également à poursuivre la réflexion des spectateurs sur le temps présent au-delà de ce qui est mis en scène dans les tétralogies, à la manière de Joachim. Joachim de Flore invitait ses lecteurs à réfléchir aux tribulations auxquelles il fallait encore s’attendre avant d’atteindre une période de véritable paix terrestre. D’après ses calculs, l’église du Nouveau Testament n’avait subi que les premières persécutions annoncées dans l’Ancien Testament. Shakespeare, en arrêtant ses tétralogies au couronnement de Henry VII, nous invite à réfléchir sur les tribulations que l’Angleterre doit encore subir avant de profiter d’une période de paix durable.

Antéchrist(s)

Pour compléter le schéma proto-joachimite, on pourrait arguer que Shakespeare annonce dans Richard II l’arrivée de l’Antéchrist qui venait d’être interprété en 1592 par Richard III dans la pièce éponyme. Il s’agit bien d’une annonce, puisque la plupart des prophéties dans Richard II ne se réalisent pas au cours de la pièce. Malgré les similarités entre les prophéties de guerre civile de Gand et de Carlisle, c’est-à-dire malgré une répétition plutôt évidente de visions de guerre civile, personne, à part le public, n’y prête beaucoup attention. On ne trouve pas dans Richard II de prophétesse comme la reine Margaret de Richard III dont les malédictions hantent les personnages tout au long de la pièce. Dans Richard II, les femmes restent toujours en-deçà de l’inspiration prophétique, et c’est à peine si on les écoute : la reine Isabel pressent le malheur, sans pour autant jamais réussir à formuler clairement ses craintes. Dans un cas, c’est Green qui lui permet de déchiffrer ses pressentiments après-coup (II.ii.62), dans l’autre, c’est Adam, le jardinier, qu’elle presse de questions (III.iv.72-80), presque à la manière du prophète Daniel qui prédit, à sa demande et devant l’intéressé, la chute du roi Balthazar (Dn. 5.25-30). On trouve les mêmes doutes chez la Duchesse de Gloucester : ses avertissements à Gand n’ont pas la force accusatoire des prophéties de Margaret:

What shall I say? To safeguard thine own life
The best way is to venge my Gloucester’s death. (I.ii.35-6)

Si on ne retrouve pas de prophétesse comme Margaret, c’est sans doute parce que les embryons prophétiques des personnages féminins de Richard II ne sont, précisément, que des embryons ou, pour reprendre l’expression de Bacon, “a germinant accomplishment”. Contrairement à ce qui se passe dans Richard III, il n’y a aucun enfant à massacrer, aucun héritier au trône, alors qu’il est souvent fait allusion à l’enfantement ou au ventre maternel (womb). Reprenons la réplique d’Isabel mentionnée précédemment:

So, Green, thou art the midwife to my woe
And Bolingbroke my sorrow’s dismal heir.
Now hath my soul brought forth her prodigy,
And I, a gasping new-delivered mother,
Have woe to woe, sorrow to sorrow joined. (II.ii.63-6)

Ces vers font écho à la réplique précédente:

Yet again, methinks,
Some unborn sorrow, ripe in Fortune’s womb,
Is coming towards me, and my inward soul
With nothing trembles. At something it grieves
More than with parting from my lord the King. (II.ii.9-13)

L’emploi de la métaphore du ventre maternel souligne clairement le caractère monstrueux de la prise du pouvoir par Bolingbroke, né tel un « prodige » (prodigy). Bolingbroke est à la fois l’héritier légitime au trône (heir), et un produit contre-nature de l’esprit, et non du corps, de la reine (my sorrow’s … heir… my soul’s… prodigy). Il est, sinon l’Antéchrist, du moins un des antéchrist 40“Before Joachim medieval Christian theology and folklore allowed the existence of many ‘antichrists,’ but only one Antichrist.” Robert E. LERNER, “Antichrists and Antichrist in Joachim of Fiore”, Speculum, vol. 60, 3 (juillet 1985), p. 554. R. Lerner revient sur la question des multiples Antéchrists chez Joachim pour en souligner les aspects novateurs. St Jérôme et St Augustin avaient déjà distingué l’antéchrist et l’Antéchrist. Voir, par exemple, AUGUSTIN, op. cit., 20.19. qui causera la Guerre des Deux Roses. Une guerre qui sera une période de tribulations avant le millénium dont le début présumé serait l’avènement de Henry VII et de la dynastie Tudor. Que Henry Bolingbroke puisse être pris pour une figure de l’Antéchrist peut se justifier par son habileté politique et sa piété de façade. Il parle de son pèlerinage en Terre Sainte pour détourner l’attention de ses sujets des querelles intestines (V.vi.49-50) 41Sur son lit de mort, Henry IV confiera ces mots à son fils : “[I] had a purpose now / To lead out many [of my rivals] to the Holy Land, / Lest rest, and lying still, might make them look / Too near unto my state.” 2H4, IV.iii.338-341.. Ce pèlerinage, il ne le fera jamais, même s’il ne cessera d’en parler dans la seconde tétralogie. Il incarne ainsi l’imposteur qui se comporte en saint homme alors qu’il s’apprête à plonger le pays dans un siècle de guerre civile. Cette guerre s’achèvera avec le dernier Antéchrist, Richard III, un autre imposteur qui aura imité la conduite d’un saint homme pour mieux s’emparer de la couronne 42“And look you get a prayer-book in your hand, / And stand between two churchmen, good my lord […] / Play the maid’s part: still answer nay, and take it.” R3, III.vii.46-50..

Croisade

Shakespeare décide de parler de croisade pour terminer Richard II. C’est le signe d’une tension eschatologique 43Voir André VAUCHEZ, « Les composantes eschatologiques de l’idée de croisade », in Saints, prophètes et visionnaires: Le pouvoir surnaturel au Moyen Age, Paris, Albin Michel, 1999, p. 95-105., d’une réflexion sur la fin des temps, une façon d’explorer, avec Richard II, la deuxième thèse majeure de Joachim selon laquelle le millénium aurait lieu dans l’histoire, avec l’avènement du troisième état de l’église, celui de l’Ecclesia Spiritualis, après le passage de plusieurs antéchrists avant l’Antéchrist final. Avec Richard II, une des rares pièces entièrement versifiées du canon shakespearien, le dramaturge explore l’histoire de son pays et propose une eschatologie à la fois optimiste et pessimiste, joachimite et augustinienne 44“Thus the view of historical purpose offered by Joachim at the beginning of the thirteenth century was characterized by a blend of the traditional pessimistic pattern with a new, more positive expectation of transition to an age of human fructification preceding End-time. However, throughout the period under review, what may be roughly termed the Augustinian and the Joachimist views of Last Things existed side by side, in opposition or in interaction.” Marjorie REEVES, “Pattern and Purpose in History in the Later Medieval and Renaissance Periods”, in Apocalypse Theory and the Ends of the World, ed. M. Bull, Oxford, 1995, p. 91.. Ses personnages, à la fois poètes et prophètes, examinent les problèmes téléologiques que leur posent la narration de l’histoire. A mi-chemin entre le médecin et l’historiographe, le poète–prophète nous offre une vision qui alimente notre réflexion sur l’eschatologie, qui nous fait nous interroger activement sur le sens de l’histoire. Le mot de l’évêque de Carlisle, “Let me prophesy”, est autant un acte de langage (il dit qu’il va prophétiser et, ce faisant, prophétise) qu’un manifeste poétique, comme s’il nous invitait à prophétiser à notre tour.

References

References
1 Joel FINEMAN, “The History of the Anecdote: Fiction and Fiction”, in The New Historicism,ed. Harold Veeser, Londres, Routledge, 1989, p. 61.
2 Les faits historiques remontent aux années 1397-1400 ; la pièce daterait de 1595. Sur la date de composition de la pièce, voir Charles R. FORKER, King Richard II, Londres, Arden Shakespeare, 2002, p. 111-120. Toutes les références à la pièce, ci-après désignée R2, sont tirées de cette édition.
3 Remarquons dès à présent que le concept de « fin de siècle » remonte au dix-neuvième siècle: “Late in 1885, fin de siècle made its popular debut as a single phrase, a phrase at first descriptive of personal manner and carriage, then of the manners and carriage of the epoch itself. ‘To be fin de siècle,’ explained one French article in 1886, ‘is to be no longer responsible; it is to resign oneself in a nearly fatal fashion to the influence of the times and environs… It is to languish with one’s century, to decay along with it.’” Hillel SCHWARTZ, Century’s End: A Cultural history of the fin de siècle, New York, Doubleday, 1990, p. 159.
4 THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduction Jean Voilquin, Garnier Frères, Paris, s.d., 1.22.4, cité en anglais par J. FINEMAN, ibid., p. 52.
5 J. FINEMAN, ibid., p. 56. Citons, pour mémoire, la traduction française du texte hippocratique: « Il est impossible de rendre la santé à tous les malades, et cela vaudrait certainement mieux que de prévoir l’avenir ; mais comme les hommes périssent, les uns terrassés tout à coup par la violence du mal, avant d’avoir appelé le médecin, les autres presque aussitôt qu’ils l’ont fait venir, ceux-ci un jour après, ceux-là après un peu plus de temps, mais toujours avant qu’il lui ait été possible de combattre avec les moyens de l’art chaque maladie, il faut qu’il sache reconnaître la nature de ces affections et jusqu’à quel point elles dépassent les forces de l’organisme, et s’il n’y a point en elles quelque chose de divin, car ceci éclaire le pronostic. Un tel médecin sera justement admiré et excellera dans son art ; mieux que tout autre il saura préserver de la mort les malades susceptibles de guérison, en se précautionnant plus longtemps à l’avance contre chaque événement ; prévoyant et pronostiquant ceux qui doivent guérir et ceux qui doivent mourir, il sera exempt de reproche. » HIPPOCRATE, Le Pronostic, trad. Ch. V. Daremberg, Paris, Charpentier, Fortin, Masson, 1854-1856, §1.
6 Francis BACON, The Advancement of Learning, ed. G. W. Kitchin, Londres, New York, J.M. Dent & Sons, E.P. Dutton & Co., (1605) 1934, p. 69, p. 80.
7 J’utilise la traduction de l’école Biblique de Jérusalem, Paris, Desclée de Brouwer, 1975.
8 “Those who regularly and consistently equated the Pope or the papacy with Antichrist were the heretics — Joachim of Flora (c. 1135-1202), the Cathars, who thought Pope Sylvester I was Antichrist, the Albigensians, the Waldensians, the Spiritual Franciscans, the Fraticelli, Wyclif and the Lollards, Hus and the Hussites. […] By the time of Elizabeth I, the doctrine that the Pope was Antichrist had acquired a theoretical respectability which seemed to rescue it from the subservive dangers of medieval heresy and tie it safely to monarchy. This was mainly the work of Martin Bucer and John Foxe.” Christopher HILL, Antichrist in Seventeenth-Century England, Londres, Verso, [1971] 1990, p. 7-8, 13. Voir p. 1-77 pour un résumé très complet de la situation en Angleterre avant 1640.
9 AUGUSTIN, La cité de Dieu, 20.7-10.
10 Ibid., 20.7.
11 John GOWER, Confessio Amantis, Prologue, vers 26-31, cité par H. SCHWARTZ, op. cit., p. 68. Pour plus de détails sur les événements de l’époque, voir ibid., p. 63-74. Gower développe ici la topique du mundus inversus.
12 Le terme « décadent » apparaît à cette époque, mais ne prendra le sens moral qu’on lui connaît aujourd’hui que bien plus tard, au dix-neuvième siècle. Dans R2, on peut entendre encore, dans l’exclamation de Northumberland: “Most degenerate King!” (II.i.262), l’écho du sens originel de décadent, à savoir « dégradé », « en état de ruine ».
13 Hillel Schwartz revient sur le « Fiery Trigon » de 1583 et évoque les huit comètes aperçues dans le ciel anglais entre 1577 et 1596. H. SCHWARTZ, op. cit., p. 108.
14 Voir l’introduction de C. FORKER, op. cit., p. 5-16, en particulier p. 8-9.
15 Keith THOMAS, Religion and the Decline of Magic, New York, Scribner’s, 1971, p. 141.
16 Cité par C. FORKER, op. cit., p. 307.
17 « Dans l’Europe du début des Temps modernes, la peur, camouflée ou manifestée, est présente partout. » Jean DELUMEAU, La Peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, p. 31.
18 Une anecdote célèbre rapporte que Joachim rencontra Richard Ier « Cœur de Lion » à Messine ca. 1190. Le roi, partant pour la Troisième Croisade, l’aurait consulté sur l’Antéchrist. Voir Marjorie REEVES, The Influence of Prophecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism, Oxford, 1969.
19 Raphael HOLINSHED, Richard the second, the second sonne to Edward prince of Wales in The Chronicles of England, Scotland and Ireland, Londres, Printed by Henry Denham, at the expenses of Iohn Harison, George Bishop, Rafe Newberie, Henrie Denham, and Thomas Woodcocke, [1587], in Horace Howard Furness Memorial (Shakespeare) Library. Folio DA130. H7 1587, p. 493.
20 Geoffrey of MONMOUTH, Historia Regum Brittaniae, trad. A. Thompson, éd. J.A. Giles, Londres, J. Bohm, ca. 1138 [1842], Livre VII. Basées sur l’interprétation de figures animales, les prophéties merliniennes parlent de l’avenir de l’Angleterre en termes allégoriques souvent obscurs (the red and white dragon, the boar of Cornwall, a sea-wolf, a lion of justice, an eagle, the goat of the Venereal castle, serpents, the ass of wickedness, wolves, the fox of Kaerdubalem, the adder of Lincoln). Ce symbolisme animalier a été maintes fois réinterprété aux quinzième et seizième siècles à la lumière des préoccupations politiques du moment. Son influence à travers les siècles est attestée par l’élisabéthain Henry Howard: “Merlin’s prophecies were chained to the desks of many libraries in England with great reverence and estimation.” Henry HOWARD [Earl of Northampton], A defensative against the poyson of supposed prophecies, Londres, Printed by Iohn Charlewood 1583, and reprinted by William Iaggard and to be sold by Mathew Lownes [1620], rapporté par K. THOMAS, op. cit, p. 394.
21 C. FORKER, op. cit., p. 245n.
22 On peut penser au sens théologique du mot (comme dans « grâce efficace », ainsi que l’entendent les Jansénistes) ou au sens linguistique (“performative utterance”, définie par J. L. AUSTIN, How to Do Things with Words, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1962). En termes théologico-linguistiques, on pourrait arguer que le marqueur linguistique du libre-arbitre est la conjonction if.
23 Marjorie REEVES, « English Apocalyptic Thinkers (c.1540-1620) », Storia e figure dell’Apocalisse fra ‘500 e ‘600. Atti del 4° Congresso internazionale di studi gioachimiti, ed. R. Rusconi, Viella, 1996, p. 270. En revanche, on remarque au dix-septième siècle une explosion du nombre de textes millénaristes ou apocalyptiques. Voir C. HILL, op. cit.
24 “Years ago Morton Bloomfield gathered together much of the manuscript evidence to show the widespread distribution of apocalyptic material in fourteenth-century England”. M. REEVES, op. cit., p. 260.
25 Ibid., p. 260.
26 John Bale travailla longtemps avec John Foxe, l’auteur de Actes and Monuments, publié en 1563. L’œuvre, plus connue sous le nom de Foxe’s Book of Martyrs, eut une influence considérable en Angleterre. Bale et Foxe s’exilèrent tous deux pendant le règne de Mary et retournèrent en Angleterre imbibés de lectures apocalyptiques provenant du Continent. Voir M. REEVES, op. cit., p. 263-265.
27 Ibid., p. 263.
28 L’appui de Jean de Gand et d’autres nobles du royaume était vraisemblablement motivé par la possibilité de s’emparer des sources de revenus monastiques.
29 C’est après les premières représentations de 1 Henry IV que Shakespeare dut changer le nom de son personnage, suite aux pressions des descendants de Oldcastle, les Cobham. Le nom finalement retenu est dérivé de celui de Sir John Fastolf, également un lollard, dont l’histoire retint le rôle peu glorieux dans la bataille de Patay en 1429 contre les français.
30 On retiendra, en effet, l’omission de la scène de la déposition (IV.i.155-318) dans les premiers quartos. Voir C. FORKER, op. cit., p. 506-507.
31 Grâce à son mariage avec Blanche de Lancastre puis avec Constance de Castille, Jean de Gand était le prince le plus fortuné du pays, avec une trentaine châteaux en Angleterre et en France. Il était en mesure de rivaliser, de ce point de vue, avec son neveu et roi, Richard II, sans pour autant jamais s’en vanter.
32 Ce que l’on appelle the Peasant’s Revolt, ou Wat Tyler’s Rebellion ou the Great Rising eut aussi un soutien des lollards, comme celui du prêtre John Ball dont les sermons à Blackheath en faveur d’une plus grande égalité sociale attisèrent les rebelles (c’est à lui que l’on attribue le célèbre mot: “When Adam delved and Eve span, Who was then the gentleman?”). Ball fut arrêté puis exécuté. John Gower traita de cette révolte dans son long poème Vox Clamantis. Il voyait dans ce soulèvement une œuvre de l’Antéchrist.
33 Les premières éditions de la pièce parlent de Tragedy dans le cas de R2 ou de Richard III, mais de History ou de Chronicle dans le cas de 1 Henry IV, 2 Henry IV ou Henry V.
34 Plus tard, ce sera Jacques Ier qui, à l’occasion de la découverte de la Conspiration des Poudres en 1605, incarnera la figure providentielle qui aura délivré l’Angleterre des complots catholiques. Voir Gary WILLS, Witches and Jesuits: Shakespeare’s Macbeth. New York, Oxford University Press, 1995.
35 Voir H. S. CRONIN, “The Twelve Conclusions of the Lollards”, English Historical Review, 22 (avril 1907), p. 292-304.
36 Dans ce que rapporte Holinshed dans ses Chronicles, l’évêque de Carlisle se contente de récuser la légalité de la procédure de destitution en l’absence du roi, celui-ci n’ayant pas l’occasion de répondre aux chefs d’accusation qui lui sont reprochés. Le passage de Holinshed ([22 October 1399], 3.512) est cité par C. FORKER, op. cit., p. 497-498.
37 K. THOMAS, op. cit., p. 397-398.
38 Sir Philip SIDNEY, An Apologie for Poetrie, London, 1595 [1869], ed. Edward Arber, in AMS English Reprints, New York, 1966, vol. 1, p. 23.
39 Au quinzième siècle, le terme de « parricide » s’applique également au meurtre du souverain.
40 “Before Joachim medieval Christian theology and folklore allowed the existence of many ‘antichrists,’ but only one Antichrist.” Robert E. LERNER, “Antichrists and Antichrist in Joachim of Fiore”, Speculum, vol. 60, 3 (juillet 1985), p. 554. R. Lerner revient sur la question des multiples Antéchrists chez Joachim pour en souligner les aspects novateurs. St Jérôme et St Augustin avaient déjà distingué l’antéchrist et l’Antéchrist. Voir, par exemple, AUGUSTIN, op. cit., 20.19.
41 Sur son lit de mort, Henry IV confiera ces mots à son fils : “[I] had a purpose now / To lead out many [of my rivals] to the Holy Land, / Lest rest, and lying still, might make them look / Too near unto my state.” 2H4, IV.iii.338-341.
42 “And look you get a prayer-book in your hand, / And stand between two churchmen, good my lord […] / Play the maid’s part: still answer nay, and take it.” R3, III.vii.46-50.
43 Voir André VAUCHEZ, « Les composantes eschatologiques de l’idée de croisade », in Saints, prophètes et visionnaires: Le pouvoir surnaturel au Moyen Age, Paris, Albin Michel, 1999, p. 95-105.
44 “Thus the view of historical purpose offered by Joachim at the beginning of the thirteenth century was characterized by a blend of the traditional pessimistic pattern with a new, more positive expectation of transition to an age of human fructification preceding End-time. However, throughout the period under review, what may be roughly termed the Augustinian and the Joachimist views of Last Things existed side by side, in opposition or in interaction.” Marjorie REEVES, “Pattern and Purpose in History in the Later Medieval and Renaissance Periods”, in Apocalypse Theory and the Ends of the World, ed. M. Bull, Oxford, 1995, p. 91.